CHRONIQUES, ROMAN BRESILIEN

Luiz RUFFATO

BRÉSIL

Luiz Ruffato est né en 1961 dans l’État de Minas Gerais. Après avoir travaillé comme tourneur, il entame des études de journalisme puis publie ses premiers romans. Il a été lauréat du Prix Casa de las Américas en 2013.

Remords

2019 / 2021

Près de vingt ans ont passé depuis la mort de sa mère. Oséias, la cinquantaire, représentant de commerce qui ne travaille plus, installé à São Paulo décide, sans raison bien claire, d’aller dans sa petite ville natale, Cataguases, dans l’État de Minas Gerais. Le premier contact, avec sa sœur Rosana, qu’il n’a pas prévenue, est glacial.

Est-il revenu à Cataguases après si longtemps pour rebondir et repartir vers une nouvelle période de vie plus remplie d’espoir que ces vingt années passées dans un marasme un peu glauque, ou pour dessiner un bilan désenchanté ? On le saura.

Ce qu’il (re)découvre de sa ville, qui n’est plus la sienne, n’est pas fait pour lui donner de l’espoir : des existences grises, la saleté des rues, la mesquinerie générale, sa lucidité aussi, tout contribue à recréer ce marasme qu’il pensait noyé dans le passé. Un chien galeux, noir, l’accompagne un temps, présence amicale et même tendre, qui prouve que tout n’est pas complètement privé d’espoir… et d’humanité.

Toute une société se construit peu à peu sous nos yeux, une société  de province qui reproduit fidèlement, à échelle réduite, un Brésil tout entier, avec, bien sûr, ses inégalités criantes, mais aussi, plus frappantes encore, les luttes peu spectaculaires et terribles dans leurs cruautés et les souffrances subies par beaucoup, de ceux qui  veulent à tout prix se hisser un ou deux crans au-dessus de ce qu’ils sont : on est vraiment ce qu’on donne l’impression d’être, sinon on fait semblant, et les autres, dans la petite ville, font semblant d’y croire, ou (le plus souvent) ne sont pas dupes. Tout cela est montré par toutes petites touches, le contenu d’un frigo, un vêtement qu’on range ou qu’on jette par terre, une façon de se coiffer qui n’est pas en phase avec la personne.

La famille d’Oséias, la société brésilienne, se sont décomposées, les uns se sont éloignés des autres, un peu, et puis beaucoup, c’est comme cela qu’on passe vingt ans sans revenir voir ses sœurs et qu’on n’a plus de nouvelles du frère depuis plus longtemps encore, qu’on observe passivement la drogue qui se voit de plus en plus un peu partout, qu’on sourit des ragots autour du maire, qu’on ne sait plus s’il existe encore ce qu’on a appelé « morale » et qu’on n’a aucun espoir de sortir de cette quasi misère qu’on voit partout.

Le lecteur se retrouve directement dans la tête d’Oséias, pensées, regards, souvenirs se mêlent dans un texte très dense avec, renaissant régulièrement, un fantôme à peu près inconnu de nous qui obsède cet homme au bout du rouleau, celui d’une sœur restée mystérieuse pour tous, lecteur compris et qui soudain devient une douleur. On assiste à la mort d’une époque, celle de la colonie italienne à laquelle appartient Oséias, qui s’est disséminée à travers le Brésil, Oséias, lui, ne sait plus s’il est encore de cet endroit, qui n’est plus qu’une ombre.

Quelle puissance à toutes les étapes de ce roman, quelle vérité, peut-être difficile à digérer si on se trouve soi-même dans une période de déprime, une puissance et une vérité qui nous prennent au plus profond de notre condition d’humain voué à la poussière et à l’oubli.

Remords, traduit du brésilien par Hubert Tézenas, éd Métailié,  256 p., 20,60 €, version numérique,14,99 €.

Luiz Ruffato en brésilien : O verão tardio, ed. Cia das Letras / Eles eram muitos cavalos, ed. Boitempo, / Mamma son tanto felice / O mundo inimigo , ed. Record.

Luiz Ruffato en français : Tant et tant de chevaux / Des gens heureux : Le monde ennemi, éd. Métailié / À Lisbonne j’ai pensé à toi, éd. Chandeigne.

MOTS CLES : BRÉSIL / PSYCHOLOGIE / SOCIETE / ÉDITIONS MÉTAILIÉ.

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