CHRONIQUES, ROMAN URUGUAYEN

Fernanda TRIAS

URUGUAY

Née en 1976 à Montevideo, Fernanda Trías est enseignante, traductrice et auteure de nouvelles et de cinq romans. Elle réside actuellement à Bogotá

La ville invincible

2014 / 2020

La narratrice, qui a toujours vécu à Montevideo, traverse le Río de la Plata pour s’installer à Buenos Aires (s’installer ? est-ce le mot ?). Trop âgée pour bénéficier d’un logement étudiant (elle a 33 ans), elle finit par dégoter à la troisième tentative une « maison de famille ».

Il y a des zones étranges dans sa tête et elle nous en fait abondamment profiter. Pas la peine de chercher de réponses aux mille questions qu’elle se pose, dans un fouillis surréaliste, si elle pouvait en trouver elle-même, ce livre n’existerait déjà pas. S’il y en avait, elles n’auraient aucun intérêt, ni pour elle, ni pour nous, c’est de cette confusion que naît sa poésie, une poésie dont elle n’est pas consciente mais qui coule de ses délires.

La ville, tentaculaire, est un jeu de marelle pour elle, un espace qui l’inquiète et la fascine. Mais une ville – Buenos Aires – est-elle une addition de rues, de carrefours, de bâtiments, ou une « construction faite de personnes » ?

Des personnes, elle en croise beaucoup, elles et ils viennent d’un peu partout, on est bien à Buenos Aires, tous traînent un passé, des blessures, physiques ou morales, des désirs aussi, désirs de liberté politique ou individuelle. C’est vrai pour tous, mais encore plus sensible dans les deux pays de l’héroïne qui ont subi des dictatures jumelles et dans lesquels le passé ne parvient pas à mourir.

Ce qui donne sa saveur à ce récit qui a l’air décousu (ce n’est qu’une impression), c’est la position de cette narratrice qui vit perpétuellement non seulement entre deux pays, mais surtout entre deux réalités, la « vraie » réalité (peut-être, hélas aussi la nôtre !) et la sienne, un peu en dehors tout en étant bien présente dans cette capitale merveilleuse et dangereuse, attirante et terrifiante.

Des périodes immobiles, enfermée chez elle, puis des moments de mouvements dans des rues où dorment des sans logis, la fuite, toujours, elle fuit un certain Rat, un ex  qui peut être violent, elle se fuit elle-même dans une sorte de nuage qui déforme légèrement ses décors mouvants. Tellement mouvants, les décors dans lesquels elle évolue, qu’elle tombe souvent, la pauvre. Ce sont des chutes physiques bien réelles, aussi réelles que ses chutes morales et que les chutes de son moral. Sans nul doute elle est attachante, on aurait aimé lui donner un coup de main, mais non, c’est sa nature et on ne peut rien pour elle… Tant mieux, d’ailleurs, si elle allait mieux on n’aurait aucune raison de lire ses « aventures » et (surtout) ces mots décalés qui surprennent sans choquer, qui nous permettent d’entrer dans son atmosphère qui n’est qu’à elle : un des personnages a un « geste ferme et délicat », ce qu’est précisément le style de Fernanda Trías.

Cadeau supplémentaire : les éditions Héliotropismes ont fait de cette Ville invincible un très bel objet, d’une beauté discrète et efficace, comme la police utilisée, un objet qu’on aime tenir entre les mains.

La ville invincible, traduit de l’espagnol (Uruguay) par Nathalie Serny, éd. Héliotropismes, 140 p., 18 €.

Fernanda Trías en espagnol : La ciudad invencible, ed. Demipage, Madrid.

MOTS CLES : ARGENTINE / URUGUAY / PSYCHOLOGIE / SOCIETE / EDITIONS HELIOTROPISMES.

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