CHRONIQUES, ROMAN ARGENTIN

Daniel MOYANO

ARGENTINE / ESPAGNE

Daniel Moyano est né à Buenos Aires en 1930 mais a passé une grande partie de son enfance à Córdoba, puis dans la province de La Rioja où il a commencé à écrire et à interpréter (il était violoniste dans un quartet). Arrêté en 1976, il s’exile en Espagne où il mourra en 1992. Il est l’auteur de huit romans et de recueils de nouvelles.

Le Trille du diable

1974 / 1982 / 1988 / 2024

Triclinio, petit provincial de la Rioja, au nord-ouest de Buenos Aires, joue très bien du violon sans l’avoir vraiment appris. Mais l’Argentine, son pays, n’aime pas les violonistes, ils donnent un plaisir insaisissable et font hurler les chiens, deux choses aussi intolérables l’une que l’autre. Quand il est emprisonné pendant  un mois, il ne voit pas le temps passer, sa tête est remplie de notes. Il est vrai aussi qu’à la fondation de sa ville, au XVIème siècle, un prêtre, fait saint plus tard, avait amadoué des Indiens hostiles en jouant.

Le pays dans lequel Triclinio évolue est étrange : des policiers sourcilleux contrôlent et incarcèrent mais le kiosque, au coin de la rue, ne vend que ce qui touche au violon. D’ailleurs il y a des violons partout dans la ville, dans la pension où loge le jeune prodige. Ce pays a bien changé, lui dit-on, il fut un temps où « le fait de vivre était une promesse ». Le pays tout entier est autoritaire, pauvre et raciste, les bruits ont remplacé la musique.

La poésie naît d’un réel parfois sordide, l’optimisme d’un moment où tout espoir semblait définitivement perdu. Et puis il y a la musique, qui est le secours universel.

Terrés, entassés dans un bidonville en forme de violon, de vieux violonistes arthritiques et dépourvus de leurs instruments considérés comme subversifs par les autorités ont décidé de vivre quand même et d’espérer des temps meilleurs.  Ils y parviennent, et plutôt bien : ils ont réussi à jouer ensemble, et même constituer un orchestre. Le concerto pour deux porcelets et quatre flûtes est très apprécié.

Daniel Moyano a écrit la première version du Trille du diable au moment où s’installait en Argentine une dictature (et ce n’était pas la première) qui allait peu de temps après et pendant des années exhiber une indécente cruauté. Vers la fin de cette période noire, alors qu’il avait dû s’exiler à Madrid, il a repris son roman et l’a adapté, c’est cette deuxième version que les éditions La dernière goutte nous proposent. Il faut s’en souvenir en lisant ces pages illuminées par une volonté communicative d’imposer la vie, l’action, la création et le rire et de les opposer aux horreurs, bien réelles. Pourtant, deux étages au-dessus des salles de tortures, un dictateur peut être aimable et sensible, paraître fréquentable La musique (les autres arts sont sous-entendus, littérature comprise) peut-elle sauver notre misérable monde, notre misérable condition humaine ? Daniel Moyano en est persuadé et nous en persuade.

Le Trille du diable, traduit de l’espagnol (Argentine) par Hélène Serrano, éd La dernière  goutte, 128 p., 15 €.

Daniel Moyano en espagnol : El Trino del diablo, Tropo Editores, Saragosse, 1988 (Sudamericana, Buenos Aires, 1974. Cette version avait été traduite en français par Annie Morvan et publiée aux éditions Robert Laffont en 1983).

MOTS CLES : ARGENTINE / MUSIQUE / HUMOUR / DICTATURE / SOCIETE / POLITIQUE / PSYCHOLOGIE / EDITIONS LA DERNIERE GOUTTE.

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