CHRONIQUES, ROMAN ARGENTIN

Roberto ARLT

Autodidacte, on l’a opposé à Jorge Luis Borges, chacun défendant un courant de littérature, directe et populaire pour Arlt, raffinée et intellectuelle chez Borges. Il n’a été reconnu par la critique et les universitaires que très tardivement, une cinquantaine d’années après sa mort, en 1942.

Terrible voyage

1941 / 2021

Peut-on embarquer l’âme sereine sur le Blue Star quand on sait qu’il vient tout juste de changer de nom et que de telles circonstances portent malheur, quand on sait qu’un astrologue (serait-ce celui, diabolique des Sept fous et des Lance-flammes ??), a prédit les pires horreurs pour sa prochaine traversée, quand on sait enfin que le cousin Luciano a dissuadé le jeune narrateur de le faire ? Il embarque quand même… et Luciano aussi.

Les passagers, comme il se doit, sont étranges, parmi eux le fils d’un émir de Damas qui envisage sur le Blue Star de faire croître son harem, un comte espagnol,  Chevalier de Malte et voleur international bien connu, une féministe suédoise, un personnel de bord exclusivement composé de débutants, un capitaine mal embouché.

La folie s’invite aussi à bord, mais on le sait bien si on a lu d’autres romans de Roberto Arlt, qui est fou dans ce monde, celui qui accuse l’autre de folie ou celui qui est accusé de l’être ? Et puis c’est la réalité qui devient folle à son tour, et quand la situation est incontrôlable, il n’y a plus qu’à laisser aller.

Le jeu de massacre est réjouissant, les normes de jadis, qui semblaient bien solides, le vernis de l’éducation bourgeoise par exemple, se renversent et la question se pose : où se trouve l’absurde ? Dans la société que les passagers avaient connue avant (et qu’ils ne respectaient pas forcément), dans le nouvel état, ou, plus probablement, partout ?

Roberto Arlt se révèle ici comme toujours comme un prodigieux inventeur de personnages et de situations qui ne peuvent que troubler le lecteur, il sait mettre le doigt sur ce qui déclenche des frissons qui ne l’empêchent jamais de rire franchement de la malhonnêteté et de la bêtise universelles dont ce même lecteur n’est pas exempt (je parle pour moi mais je sais que je ne suis pas une exception).

Ce génial Terrible voyage n’est pas qu’une perle, c’est aussi une introduction idéale au reste de l’œuvre narrative et aux chroniques de celui qui a été l’initiateur (dans les années 1920) de la modernité latino-américaine en littérature, bien avant Gabriel García Márquez, Manuel Puig ou Mario Vargas Llosa qui, tous, ont revendiqué son influence.

Terrible voyage, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laurent Tranier, éd. Toute Latitude, 99 p., 12 €.

Roberto Arlt en espagnol : Viaje terrible, ed. Eneida, Madrid. Le reste de la production littéraire de Roberto Arlt est disponible en Espagne sous diverses marques éditoriales.

Roberto Arlt en français : Les sept fous / Les lance-flammes / , éd. Cambourakis / Un crime presque parfait / Le petit bossu : L’éleveur de gorilles, éd. Cent pages / Eaux fortes de Buenos Aires / Dernières nouvelles de Buenos Aires, éd. Asphalte.

MOTS CLES : ARGENTINE / HUMOUR / SOCIETES / PSYCHOLOGIE / EDITIONS TOUTE LATITUDE.

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