CHRONIQUES, ROMAN MEXICAIN

Emiliano MONGE

MEXIQUE

MONGE, Emiliano

Né en 1978 à Mexico, Emiliano Monge est professeur à l’UNAM où il a fait ses études de Sciences politiques. Il est l’auteur de quatre romans.

Omissions

Tout commence avec la mort violente, dramatique, du grand-père, Carlos Monge McKey. Il travaillait sur un chantier. Une explosion. Un cadavre en mille morceaux. Sauf que. Sauf que Carlos réapparait quatre ans plus tard, bien vivant et en bonne santé : il avait organisé sa disparition pour échapper à une existence qui ne lui plaisait plus, tout simplement pour obéir à un désir trop fort de partir. Le cadavre anonyme, l’explosion tout était une mise en scène (réussie).

Le père, Carlos Monge Sánchez, un des narrateurs, sera pris de la même impulsion, il désertera lui aussi le foyer pour entrer, lui, dans la lutte politique, la guérilla.

C’est bien d’une famille qu’il s’agit, tous les éléments sont là, grands parents, cousins, parents et sœurs (avec quand même une énorme présence masculine, aucune des femmes n’a un rôle important). Mais c’est une famille qui, tout en restant semble-t-il solide, s’effrite de tous côtés. Est-ce la faute du grand-père et de sa fausse mort ? Ce n’est pas certain, la fausse mort n’étant qu’une manifestation des lézardes qui deviennent fissures sur l’édifice qui semble résister envers et contre tout. On révèle des secrets enfouis depuis des générations, on en tait d’autres connus de tous, on juge un père, un fils, un proche selon ses propres critères, mais une phrase lâchée dans un moment de colère peut révéler chez l’autre une de ces failles qui mettent en péril une personnalité entière.

Emiliano, l’auteur tout de même, est tour à tour l’un des personnages, le narrateur, le transcripteur des cahiers écrits par son grand-père ou des paroles de son père qui, à contre cœur, dit-il, a accepté de lui donner sa version de  l‘histoire familiale. Le regard porté sur les faits et les personnes est sans complaisance, même quand il s’agit d’Emiliano, mais sans acharnement, c’est un simple constat et il demande à son lecteur, je suppose, la même distance faite d’honnêteté. Or, distance et honnêteté n’excluent pas l’émotion, c’est là la force de ce texte.

Adolescent, Emiliano, peut-être victime de l’hérédité, ressent à son tour la nécessité vitale de s’évader. De s’évader de lui-même, et c’est ainsi qu’il s’évade… vers la fiction, dont la dernière étape (provisoire, espérons-le), est ce No contar todo.

Il est évident que Emiliano Monge a conquis sa liberté d’écrivain, il joue avec, il joue avec les siens, avec lui-même et surtout avec ses lecteurs auxquels il offre autant de libertés : tout croire de ce qu’il raconte ? Juger l’un ou l’autre de ses personnages/personnes ? Juger Emiliano personnage de son roman ? Juger l’auteur ? Ou non ? Voir une simple histoire familiale ? Ou voir le symbole de ce qu’a été le Mexique, de ce qu’il est devenu ? À chacun de nous le formidable luxe de choisir ‒ ou pas.

Omissions, traduit de l’espagnol  (Mexique) par Juliette Barbara, éd. Grasset, 463 p., 24 €.

Emiliano Monge en espagnol : No contar todo de Emiliano Monge, ed. Literatura Random House, Barcelona, 2019.

Emiliano Monge en français : Les terres dévastées, éd. Philippe Rey.

MOTS CLES : MEXIQUE / SOCIETE / LITTERATURE / PSYCHOLOGIE / EDITIONS GRASSET.

Cette chronique a été publiée en octobre 2019 dans la rubrique VO.

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