CHRONIQUES, ROMAN MEXICAIN

Eduardo SANGARCÍA

Eduardo Sangarcía, de son vrai nom Felipe Sánchez García, est né en 1985 à Zapopan, près de Guadalajara. Après des études de Lettres et une thèse autour de l’holocauste, il se consacre à l’écriture, de nouvelles et de romans..

Anna Thalberg

2021 / 2023

Une révélation ! Ce roman sera une des grandes découvertes de ce début de printemps. C’est aussi un drame total, absolu. Anna Thalberg vit paisiblement seule avec son mari Klaus à Eisingen, petite ville allemande. Ils sont pauvres et dignes. Sans qu’on en devine la cause (c’est vrai, Anna n’est pas d’Eisingen, et elle a les cheveux roux…), Gerda, la voisine du couple, va la dénoncer auprès d’un prêtre, l’examinateur Vogel. Elle déclare que la jeune femme est une sorcière qui par son pouvoir a fait avorter des femmes enceintes, elle dont aucun enfant n’est arrivé au terme, fait tourner le lait des vaches, elle qu’on a vue une nuit de pleine lune chevaucher une chèvre qui l’a menée au sabbat dans la forêt. L’examinateur n’a besoin d’aucune autre preuve : ce que dit Gerda ne peut qu’être la vérité de Dieu.

Dieu est un Dieu de justice, sa bienveillance est universelle, c’est en son nom qu’il faut condamner Anna : l’Église lui épargnera ainsi l’enfer et ses supplices. En attendant, les supplices ne sont que terrestres. Terrestres, donc temporaires, sans quoi ils seraient sans fin. C’est une logique implacable.

D’un côté, les membres de l’Église, sincèrement convaincus qu’en châtiant la pécheresse ils font acte de salubrité en empêchant le mal de se répandre et acte de charité en sauvant une âme en perdition, même contre sa volonté, elle-même dégradée par le Malin. De l’autre, un mari qui souffre le martyre de ne pouvoir convaincre, et aussi un prêtre, lui aussi victime de cet impitoyable Vogel, ignoré, rejeté par ses frères de religion, et surtout une innocente  torturée, impuissante à faire entendre ses pauvres mots.

Superstitions en tout genre, réelles, feintes ou imaginées, obscurantisme, bien réel, lui, mensonges  et croyances, cela partagé du haut en bas de la société, tout se mêle dans cette tragédie dont le dénouement ne fait guère de doute. Pour une fois on peut sans scrupule opposer nettement les deux camps, celui du bien et celui du mal, en sachant que ce qui fut le mal est devenu au fil des siècles notre bien et réciproquement, l’ironie de l’Histoire. Entre le mal et le bien quelques personnages, très peu, ecclésiastiques tous, hésitent, prêtre ami, confesseur ou évêque.

Au-delà du seul récit, qui s’appuie sur une réalité historique, les procès de Wurtzbourg, entre 1573 et 1630, Eduardo Sangarcía domine avec brio un style qui alterne le classicisme et l’originalité, il refuse les effets gratuits pour la force et il approche ainsi l’humanité des personnages, ceux qui ont en eux une part monstrueuse aussi bien que ceux qui sont réduits à la souffrance et à l’impuissance. Malgré l’évidence pour nous de savoir nettement de quel côté nous situer, les « monstres » restent des hommes, vision qui rajoute au pessimisme de l’histoire, et Eduardo Sangarcía le démontre plus que brillamment, tragiquement.

Anna Thalberg, traduit de l’espagnol (Mexique) par Marianne Millon, éd. La Peuplade, Saguenay (Canada), 167 p., 18 €.

Eduardo Sangarcía en espagnol : Ana Thalberg,ed. Literatura Random House, México.

MOTS CLES : ALLEMAGNE / MEXIQUE / RELIGION / VIOLENCE / SOCIETE / PSYCHOLOGIE / EDITIONS LA PEUPLADE

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