FRANCE / ARGENTINE

Léo Henry est né en 1979 à Strasbourg. Après des études de Lettres, il a beaucoup voyagé à travers le monde, en particulier en Amérique latine. Il est l’auteur d’une oeuvre très variée, nouvelles, scénarios pour jeux de rôle, oeuvres numériques, scénarios de bandes dessinées er romans.
Héctor
2023
À la fin des années 1950, puis en 1969, Héctor Germán Oesterheld, scénariste de bandes dessinées argentin, imagine avec les dessinateurs Francisco Solano López puis Alberto Breccia, une Buenos Aires couverte d’une neige toxique et écrasée par une dictature contre laquelle il faut se rebeller. En 1969 c’est le général Onganía qui tient le pouvoir. Déjà une dictature, et ce n’est pas la première.
En 1976, apparaît une autre, tenue par le général Videla, et Héctor vit dans la clandestinité avec ses quatre filles, ils sont montoneros. Les cinq feront partie des disparus. Seule survivra Elsa, l’épouse, la mère.
Léo Henry ne propose pas une biographie linéaire d’Héctor. Chacun des 15 chapitres donne un point de vue littéraire différent : ça peut être très personnel, quand Léo Henry parcourt les rues et les cimetières de Buenos Aires pour se renseigner auprès d’intellectuels qui ont révélé les mystères de la fin du scénariste, d’écrivains ; ça peut être une mise en abyme, quand Léo Henry lui-même scénariste de bédés se met dans la tête d’un Héctor Germán Oesterheld pensant à une biographie du libertador argentin San Martín ; ça peut être aussi la reprise de personnages imaginés par d’autres (Angélica Gorodisher par exemple) ; ça peut être aussi la création d’un dialogue qu’auraient pu avoir Jorge Luis Borges, incapable de son vivant de décider de quel côté politique pencher avec notre Héctor. Léo Henry se sent libre, une saine liberté dont il profite sans en abuser. Grâce à elle, il peut s’offrir le luxe de recréer un homme qu’il n’a pas connu et auquel il rend un hommage à la fois intellectuel et humain.
Les descriptions de lieux (la Ville, la Bibliothèque) dans une époque sont telles que, plus que les endroits décrits, ce sont des planches qu’un dessinateur de bédé doué aurait pu réaliser qu’on a en tête : une autre forme de réalisme, curieuse impression pour le lecteur qui devient spectateur.
Au-delà de l’homme qu’a été Héctor, Léo Henry recrée tout ce qui l’a entouré, une atmosphère très riche d’une Buenos Aires réelle et fantasmée par les souvenirs (de ses proches, des témoins), par les dessins, par l’Histoire aussi. Le réel c’est l’horreur qui a accompagné la dictature militaire (elle-même « bien » accompagnée par des militaires français qui s’étaient livrés aux tortures en Algérie et qui ont généreusement offert leur expérience à leurs collègues argentins, il est bon de le rappeler). Le fantastique qui pointe à certains moments est lui aussi teinté sinon d’horreur du moins d’une inquiétude sourde.
Le résultat est un livre inclassable qui évoque, qui ouvre de multiples fenêtres à un lecteur guidé mais jamais contraint par un texte riche : chacun peut se faire ses images et sa musique (très présente elle aussi), il aura à la fin une idée pourtant précise d’une époque tragique, d’un homme et de sa famille.
Héctor, éd. Rivages, 205 p., 19,50 €.
MOTS CLES : ARGENTINE / HISTOIRE / DICTATURE / VIOLENCE / POLITIQUE / LITTERATURE / PSYCHOLOGIE / SOCIETE / EDITIONS RIVAGES.

Deux auteurs cités dans Héctor commentés sur AnnA :
Guillermo Saccomanno :
L’employé :https://americanostra.wordpress.com/2020/02/27/guillermo-saccomanno-2/
1977 : https://americanostra.wordpress.com/2020/02/27/guillermo-saccomanno-3/
Basse saison :https://americanostra.wordpress.com/2018/09/27/guillermo-saccomanno/
Angélica Gorodischer :
KalpaImperial : https://americanostra.wordpress.com/2019/11/06/angelica-gorodischer-2/
Trafalgar :https://americanostra.wordpress.com/2019/11/06/angelica-gorodischer/